Claude Bloch, dernier survivant lyonnais du camp d’Auschwitz, nous a quittés le 31 décembre dernier à l’âge de 95 ans. Nos élèves lui ont rendu hommage lors d’une allocution à la Mairie de Lyon,  le 7 février 2024.

Hommage à Claude Bloch à l’Hôtel de Ville de Lyon  

En présence de 350 personnes, sont intervenus pour prendre la parole, Monsieur Grégory  Doucet, maire de Lyon, Monsieur le Procureur Jean-Olivier Viout, Monsieur Permezel, président de l’association des Rescapés de Montluc, des représentants du CRIF et de la Ligue Contre le Racisme et l’antisémitisme Auvergne-Rhône-Alpes, Monsieur Christian Bloch, fils de Claude Bloch, et plusieurs élèves de différents établissements de Lyon dont quatre élèves de seconde, de première et de troisième du Groupe scolaire Chevreul Lestonnac  accompagnés de leurs professeurs. Une fierté pour notre établissement. Ces élèves avaient rencontré Claude Bloch  en classe de 3ème lorsqu’il nous avait rendu visite pour livrer son témoignage. Tous ont rendu un vibrant hommage à cet homme exceptionnel. 

Texte lu par nos élèves à l’Hôtel de Ville de Lyon, lors de l’hommage à Claude Bloch, le 7 février 2024

Qu’est-ce qui fait, Monsieur Bloch, que nous allons retenir votre intervention ? 

Lors du récit, la similitude de votre âge avec le nôtre nous a permis de nous identifier. Nous nous imaginions comme vous, dans le bus reliant La Martinière à Rillieux avec l’angoisse de se faire contrôler. Ayant connaissance du faux nom qui figurait sur votre carte d’identité nous appréhendions avec vous cette possible rencontre. Au moment de l’arrestation par Paul Touvier, nous sommes restés impressionnés par l’ensemble des détails que vous avez acceptés de nous offrir. A cet instant, nous ne comprenions pas l’importance de votre « pantalon long ». 

Ces précisions ont ensuite laissé place à l’émotion lors du départ de votre grand-père et le sang froid de votre Maman. Le 20 décembre dernier, nous sommes allés visiter la Prison Montluc et la « baraque aux juifs » a pris tout son sens. Nous vous entendions encore redire cette phrase : « avec bagage ou sans bagage ». 

À la suite des collégiens de notre établissement qui ont eu la possibilité de retourner à Auschwitz avec vous, nous avons pris conscience de la gravité de ce que nous étions en train d’écouter. Nous garderons en mémoire que, pendant que vous racontiez ce que vous aviez vécu, vous ne donniez pas votre ressenti sur les événements : que les faits. Vous avez refusé de vous faire applaudir. 

Grâce à cette intervention dans notre établissement, nous avons compris ce qu’il s’était passé pendant la guerre. Ce moment nous a permis de réfléchir car, outre transmettre et ne pas oublier ce que nous avons reçu, il nous importe de ne pas refaire les erreurs du passé. 

Merci, Monsieur, pour ce récit. Nous entretiendrons votre mémoire et la transmettrons : passeurs de mémoire, nous sommes dès lors « témoins du témoin ». À plusieurs reprises, vous avez dit : « je suis petit et pas bien costaud ». Aujourd’hui, nous pouvons témoigner de votre grandeur, de votre charisme et votre générosité. 

Dès lors, l’ensemble du groupe scolaire Chevreul Lestonnac et nous-mêmes tenons, avec une vive émotion, à rendre hommage à M. Bloch.  Nous sommes de ceux, nombreux mais pas assez, qui avons eu la chance de rencontrer M. Bloch et d’assister son témoignage (là aussi, le mot est faible).  

En effet, trouver les bons mots, ceux qui sauront être à la hauteur de l’homme à côté duquel nous nous sentions ridiculement petits est complexe.  C’est avant tout sa capacité de résilience et son humilité qui nous ont touchés. Rien en lui ne laissait deviner un passé si chargé, et sa manière d’en parler était d’une clarté bouleversante.  Car au-delà de sa dureté, son témoignage est d’une richesse ineffable. Par son récit, il nous a transmis un pan de notre Histoire qui ne doit pas être oublié.   

Claude Bloch donnait du sens à la phrase d’Elie Wiesel, prix Nobel de la paix 1986 (ancien déporté) : “Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s’exposent à ce qu’elle recommence”, en dédiant 28 années à ce devoir de mémoire. 

Ce devoir est aujourd’hui le nôtre. Nous nous devons de continuer son travail, en partageant autant que possible ses souvenirs, en veillant à ce que de telles atrocités ne se reproduisent jamais mais surtout en gardant toujours espoir, et ce, même dans les heures les plus sombres.  

Malgré la  disparition de Claude Bloch, la transmission du devoir de mémoire des victimes de la déportation, de la Shoah et de la résistance se poursuit dans notre établissement.

Le jeudi 11 janvier, Monsieur le Procureur Jean-Olivier Viout, procureur adjoint au procès de Klaus Barbie, qui intervenait régulièrement pour témoigner aux côtés de Claude Bloch depuis plusieurs années dans notre groupe scolaire, nous a fidèlement rendu visite pour rencontrer les élèves de 3ème et de 1ère.

Claude Bloch devait également être des nôtres en ce jour de janvier. C’est par écran interposé qu’il a finalement témoigné auprès de nos élèves en première partie de cette intervention de deux heures.

Témoignage-vidéo de Claude Bloch, survivant de l’Holocauste et passeur de mémoire

1944, l’arrestation

Claude Bloch y raconte son arrestation le 29 juin 1944 à l’âge de 15 ans, avec sa mère et son grand-père, dans une villa de Rillieux-la-Pape. L’homme qui les interroge à Lyon est le tristement célèbre collaborationniste Paul Touvier. Son grand-père meurt pendant l’interrogatoire. Claude Bloch se retrouve emprisonné à la prison de Montluc dans la « baraque aux Juifs ». Il fera partie, avec sa mère, des prisonniers « avec bagages » qui seront transférés en transit au camp de Drancy, au nord-est de Paris.

Déportation vers l’Allemagne

Après quatre jours de voyage en train, entassés dans des wagons sans lumière, privés de nourriture, les prisonniers arrivent au camp d’Auschwitz où la mère de Claude le pousse dans la file des hommes pour lui donner une chance de survie. Il ne la reverra plus. Il y connaîtra les conditions inhumaines réservées aux prisonniers du camp : tatoués, portant l’uniforme des prisonniers, affamés, parqués dans des baraquements, dormant à deux sur une paillasse de bois, souffrant du froid, levés vers 4 h du matin pour effectuer des travaux harassants, ramassant leurs compagnons d’infortune morts d’épuisement ou exécutés.

Fin octobre 1944, il est envoyé à Birkenau, puis, sélectionné pour travailler dans une usine au nord de la Pologne. Le 17 janvier 1945, les SS regroupent les prisonniers qui tenaient encore debout et les poussent sur les routes. Ceux qui tombent sont tués. Entassés ensuite dans la cale d’une péniche, après trois jours d’attente, les derniers survivants constatent que les SS ont fui.

Libération et retour en France

Le 10 mai 45, après la capitulation de l’Allemagne, ils sont libérés et secourus par les équipes de la Croix-Rouge. Claude Bloch pesait alors 30 kilos.

Il rejoindra la Suède, puis la France pour y être soigné avec une seule idée en tête, chercher les membres survivants de sa famille. Il ne retrouvera que sa grand-mère. 

Ce témoignage poignant, livré par un des derniers rescapés de la Shoah, a permis à nos élèves, pour certains visiblement émus, de prendre conscience de toute l’horreur de cette période de l’histoire qui a vu l’extermination d’environ 6 millions de personnes dont 1,5 millions d’enfants pour la seule raison qu’ils étaient juifs.

Klaus Barbie, le « boucher de Lyon »

Le Procureur Viout, procureur adjoint lors du 3ème procès de Klaus Barbie, a ensuite pris la parole. Retraçant le parcours d’Hitler, puis de Klaus Barbie dans le contexte de l’Allemagne des années 30/40, il a interpellé nos élèves sur les mécanismes qui ont conduit à la montée du nazisme et à l’endoctrinement de milliers de jeunes allemands tels que Klaus Barbie. « Comment un jeune homme bien sous tous rapports va devenir le tortionnaire qu’il est devenu ? On ne nait pas fanatique, on le devient. »

Après  avoir rejoint la jeunesse hitlérienne, Barbie rejoint l’école de formation des SS. C’est là qu’il apprendra à détester les juifs et les homosexuels qu’il ira traquer à Berlin et Amsterdam. Il participe à l’occupation de Paris, puis devient chef de la section 4 de la Gestapo de la région Rhône-Alpes, Jura et Saône-et-Loire en 1943. Il installe son quartier général à Lyon, au dernier étage de l’hôtel Terminus, puis à l’école de santé militaire, avenue Berthelot. Il réquisitionnera la prison de Montluc à partir de 1943. Sous ses ordres, sont torturés et exécutés de nombreux juifs et de nombreux résistants, dont Jean Moulin. Surnommé le « boucher de Lyon », il fuit durant près de quarante ans, se cache en Amérique du Sud sous le nom de Klaus Altmann et obtient la nationalité bolivienne en 1957. 

Un procès pour ne pas oublier

En , il est finalement extradé de Bolivie vers la France, où il est condamné à la réclusion à perpétuité pour crime contre l’humanité lors du procès de Lyon qui s’ouvrira le 11 mai 1987. Il refusera d’y participer.

Lors de ce procès événement, filmé en intégralité, qui réveillera la mémoire collective des Lyonnais, plusieurs survivants témoigneront avec courage et dignité des horreurs perpétrées par Klaus Barbie. Nos élèves ont pu en visionner de larges extraits très émouvants, dont les témoignages de Sabine Zlatine, l’infirmière d’Yzieu et de Simone Lagrange, avant que Monsieur Viout ne conclue : « Le fanatisme perdure. Lorsque des jeunes se font sauter avec une ceinture d’explosifs au nom de DAESH après avoir été endoctrinés, c’est du fanatisme ! Il faut donc se rappeler tout ça, pour ne pas que ça se répète. »

Remercions tous les professeurs d’histoire, de français et d’allemand du collège Lestonnac et du collège Chevreul qui se sont remarquablement investis pour enseigner, sensibiliser nos élèves et pour organiser, accompagner ces événements autour de cette douloureuse page de l’histoire de notre pays.